Nous sommes de plus en plus dans une époque de facilitation. Il faut que ce soit facile, convivial, friendly. L’inverse de l’effort, la persévérance et la volonté.
Lorsque j’étais enfant, l’une de mes activités familiales préférées était de pétrir de la pâte à modeler. C’était dur, la pâte était tellement ferme l’hiver que je me souviens des fois où nous la mettions sur le calorifère chaud pour la rendre plus molle. L’été, nous aimions mettre nos animaux modelés dans le réfrigérateur. Ma mère les tolérait même si notre réfrigérateur était minuscule.
Nous allons vers la facilité naturellement
Je vous parle de ceci pour vous dire que lorsque je travaillais avec les enfants dans les années 80, j’achetais cette pâte à modeler pour eux ainsi que pour mes enfants mais cela beaucoup plus tard, mais lorsque la pâte à modeler Play Do est arrivée sur le marché et dans les maisons… plus aucun enfant ne voulait de ma pâte à modeler dure à travailler; la Play Do est tellement molle et facile à modeler.
Ensuite, nous avons remplacé les craies de cire par les crayons-feutres; les enfants n’ont plus besoin de peser sur le crayon, le crayon bouge presque seul. Je me souviens des après-midi que nous passions à faire des dessins sans dessins, nous avions mal aux mains et aux poignets en étendant de la couleur foncée sur toute la feuille avec nos pastels gras.
Je me rappelle également les après-midi à faire de la tire Ste-Catherine que nous étirions à en avoir mal aux bras; idem pour les beignes, la pâte à tarte et les biscuits que ma mère nous laissait abaisser au rouleau. Nous pouvions pétrir la pâte et la rouler très longtemps.
Je mentirais si je vous disais que mes enfants ont fait de la tire toutes les années, mais ils se souviennent du peu de fois que nous avons pris le temps d’en préparer et de l’étirer.
La loi du moindre effort
Aussi, nous avons remplacé les lacets par les fermetures autoagrippantes; les habitudes de vie ont changé, car de plus en plus d’objets sont entrés dans nos maisons comme la brosse à dents électrique, les mini-aspirateurs qui tiennent lieu de balais, les souffleuses qui ont remplacé les râteaux ou les calculatrices qui se sont substituées aux calculs mentaux.
Les jeux Nintendo ont remplacé les jeux de société où les enfants apprenaient les règles, l’attente, compter, additionner et soustraire mentalement. Les compotes ont remplacé les pommes fraiches. Beaucoup d’enfants ne veulent plus mastiquer.
Avec les téléphones cellulaires nous n’avons plus besoin de mémoriser les numéros de téléphone. Avec les différentes applications nous n’avons plus besoin de réfléchir à se situer où nous sommes et à chercher quel sera le meilleur chemin pour aller à notre destination.
De même, la marche ou le trajet en vélo jusqu’à l’école ont été remplacés très souvent par la voiture; les enfants marchent de moins en moins par nécessité. Ensuite, ils ont pris l’habitude d’être transportés en voiture et ils trouvent cela très difficile de voyager seuls et par eux-mêmes. .
Les responsabilités que les enfants devaient prendre en charge sont de moins en moins présentes. Pourtant, à partir de la première année, un enfant peut marcher jusqu’à l’école, et si l’on ne veut pas le laisser faire seul, il est possible d’échanger ce service avec d’autres parents qui sont des marcheurs.
Avec tous ces changements technologiques, nos capacités diminuent de plus en plus, il semblerait avec les nouvelles études que notre capacité de concentration viendrait de chuter à 8 secondes. Cette étude démontre bien que la capacité de concentration « longue durée » diminue à mesure que les usages numériques, et l’utilisation de réseaux sociaux augmentent.
La gratification immédiate
Partout, la gratification est de plus en plus immédiate, et nous nous questionnons sur les raisons pour lesquelles les enfants ne veulent plus faire d’efforts.
Avec ces choix, qu’est-ce que j’enseigne à mon enfant ?
Me déplacer toujours en voiture.
Acheter des aliments avec le moins de manipulations possible comme des carottes épluchées d’avance, de la laitue lavée ou des aliments préparés pour ne nommer que ceux-ci.
Lorsque mon garçon Guillaume avait 5 ans, en première année, c’est-à-dire il y a 12 ans de cela, une enseignante qui quittait l’école pour sa retraite avait échangé des propos un peu du même ordre d’idées lors de son allocution et elle avait observé que les enfants mangeaient beaucoup de nourriture molle depuis quelques années. Elle avait ajouté que l’on ne retrouvait plus du tout les mêmes aliments dans la boite à lunch des enfants, comme des compotes au lieu des fruits frais ou des crudités et, selon elle, il existait des conséquences directes non seulement sur la mastication, mais aussi sur l’élocution des enfants. Je ne crois pas qu’il y ait des études scientifiques sur le sujet, mais enfin… un professeur de violon dans un documentaire communiquait que les enfants avaient moins de tonus et que la tenue des postures était beaucoup plus difficile pour eux; il avait observé une différence. Les enfants jouent de moins en moins à l’extérieur.
En disant cela, je ne critique pas du tout l’évolution technologique ou le changement de mœurs et je ne veux surtout pas que vous pensiez que je porte un jugement sur quoi que ce soit; je ne fais que des constatations. Je veux simplement mettre en lumière que nos choix ont des conséquences à court et à long terme sur nos états internes et nos attitudes ainsi que nos comportements et notre forme physique, mental et psychologique. Nous vivons en cette ère effectivement, mais il est important de nous interroger sur ce que nous souhaitons. Ce n’est pas la société qui décide… c’est chacun de nous en tant que consommateur. Quelles sont les activités que nous voulons privilégier en famille?
Il est vrai que la pression sur les parents est très forte par moment et, en même temps, nous avons le pouvoir de choisir. Tout est une question d’équilibre. Pour tous ceux qui ont suivi la formation avec moi, je reviens fréquemment sur ce principe d’équilibre. Moi aussi, je suis fascinée de voir les petits de première année avoir accès aux ordinateurs et être capables de faire des graphiques. Je suis tout autant émerveillée lorsque je les vois dévaler les pentes de ski sur leurs planches à neige en épatant la galerie avec leurs cabrioles.
Nous voulons aller de plus en plus vite et pour cela, fréquemment, nous croyons nous simplifier la vie en choisissant plus de rapidité et nécessairement plus de facilité. Pourtant, je crois que nous nous la complexifions et, par le fait même, nous nous isolons de plus en plus les uns des autres.
Avant, pour chercher la définition d’un mot, j’utilisais mon encyclopédie Grolier; maintenant, je tape le mot à l’ordinateur, et plusieurs définitions apparaissent. Laquelle est la meilleure, laquelle choisir ?
Est-ce vraiment se simplifier la vie ?
Nous demandons aux enfants de s’investir de moins en moins, car nous trouvons cela plus long et plus difficile. Nous sommes moins patients, car nous avons le sentiment que tout va trop vite. Plus nous stressons, plus notre perception du temps s’accélère, et il se rétracte; tout comme nous, le temps est sous tension.
Les enfants doivent vivre un mal-être pour persévérer
Il faut faire attention, car le mal-être est là pour nous dire que nous ne sommes pas sur le bon chemin. Les émotions comme l’anxiété, la tristesse, la colère nous poussent dans l’action pour nous changer nous-mêmes ou nous inciter à changer le monde pour mettre fin à l’émotion de mal-être.
Il est normal de vouloir éviter de se sentir mal et lorsqu’il s’agit de nos enfants nous n’aimons pas les voir mal. Portant le mal-être est nécessaire pour apprendre l’optimisme, la résilience et échapper à la détresse. Chaque émotion a son message, l’anxiété nous prévient d’un danger imminent. La tristesse nous informe d’une menace de perte et la colère peut nous prévenir que quelqu’un a envahi notre territoire. Ces informations nous incitent à agir.
Si nous les protégeons de l’échec, nous les empêchons d’acquérir la persévérance. Chaque tâche compliquée à laquelle votre enfant doit faire face comporte plusieurs étapes, qui peut être plus ou moins facile à faire. S’il trébuche à l’une des étapes, essaie de nouveau, puis réussit, il va persévérer. S’il abandonne au moindre obstacle, il échouera dans l’ensemble de la tâche.
Chaque échec, petit ou grand, engendre des sentiments négatifs, de l’anxiété, de la tristesse, de la colère. Ces émotions lorsqu’elles sont modérées sont stimulantes, mais elles sont aussi décourageantes. Comme nous tous, l’enfant peut faire deux choses, il peut agir pour mettre fin à l’émotion en changeant la situation ou soit baisser les bras et abandonner. La première c’est de la maîtrise, la deuxième c’est de l’impuissance acquise.
Pour que l’enfant vive de la maîtrise, il doit échouer, qu’il se sente mal, mais qu’il essaie à nouveau jusqu’à ce qu’il atteigne la réussite. Le mal-être fait partie de la réussite et de la persévérance. En évitant le sentiment d’échec, il est plus difficile d’atteindre la maîtrise et en atténuant la tristesse et l’anxiété justifiées, nos les rendons plus vulnérables à la détresse et la dépression. Lorsqu’ils font face à des obstacles et que nous nous précipitons pour protéger leur estime, nous ne les aidons pas à persévérer. Et s’ils ne persévèrent pas, leur estime d’eux-mêmes va diminuer.